Dès que le réveil sonnait, c'est l'enfer qui s'installait. Peu à peu le soleil entrait dans ma chambre. Comme un intrus. Il se faufilait entre les planches défoncées des volets voulus bleus. Si certains le voient comme une étoile qui guide l'Homme, ça n'est pour moi rien de plus qu'une énorme boule de feu.
Sans vous mentir, je ne suis pas à plaindre. Pas pour ce que les gens appellent de bonnes raisons. Être forcé à travailler même enfant. Être orphelin. Ou battu. Mal-aimé, handicapé, rejeté. Je ne suis encore qu'une gosse, de vingt ans tout juste. Sans me considérer comme banale, je ne suis pas bien originale. J'aurais pu l'être. J'aurais pu m'habiller différemment et exposer mon point de vue au monde. J'aurais pu gueuler dans la rue que je haïssais mon prof de français et tous ces putains de vieux qui laissent leur chien chier au milieu du trottoir. Mais je ne l'ai pas fais. Je ne l'ai jamais fais et je crèverais sûrement sans l'avoir fait.
Je n'ai ni plus ni moins d'amis que les autres gens. Mais le peu que j'en ai sont comme la plupart des adolescents, vous voyez. Je veux dire, comme une majorité ils se contentent de notes moyennes en cours, envoient chier leurs profs quelques fois et ronchonnent à la moindre remarque. Ils sont à l'affût de la dernière mode, du nouvel iPhone en vente dès demain. Sans raison valable ils boivent. Ils sortent en soirée, en boîte, et fument. Beaucoup. Et si tout ça leur convient, ça doit pouvoir me convenir à moi aussi. Je veux dire, je ne vois pas pourquoi ça ne m'irait pas, je ne suis pas différente d'eux. Je crois.
Et donc mon quotidien commençait comme celui de tout le monde. Je me levais en gueulant sur mon réveil, je bouffais tout ce que je pouvais au petit-déjeuner et je trainais des pieds pour aller au collège, puis au lycée. Et puis j'en revenais en courant, je calais mon cul derrière mon ordinateur et j'y restais toute la soirée, avant de m'affoler à minuit pour mes devoirs. Ma mère gueulait, mon père gueulait. Et puis il y avait un mec, gentil et beau. Il m'a aimée et m'a quittée.
Je me sens un peu comme dans un rêve, vous savez. J'entends des voix, comme si des anges murmuraient à mon oreille. C'est ça, mon quotidien. Je vie, et des anges me parlent. Ils me parlent de moi, de leur vie, de ce qu'il se passe dans un monde. C'est comme s'ils ne venaient pas du paradis, mais d'un monde parallèle qui ressemble à celui où j'étais, petite. Maintenant, il n'y a plus que de longs prés de coquelicots. Quelques maisons, par-ci par-là, et seuls les gens que j'aime sont là. Ils disparaissent, souvent. Ils se là, et n'y sont plus la seconde d'après. Ils ne reviennent que le lendemain, et ne sont pas là plus de dix heures par jour. Je me sens un peu seule. Je marche, dans les champs. Je regarde le ciel, et je parle aux anges. J'essaie d'apercevoir leur monde, là-haut, à travers les nuages. Et peu à peu, mes amis ne sont plus là. Ils ne viennent plus du tout. Un jour, mes parents m'ont dit au revoir et sont partis. Je n'ai rien compris. Je suis totalement, totalement seule. Il n'y a plus que moi et mes coquelicots, même les anges se font rares et il n'en reste plus qu'un qui s'appelle Docteur. Il est venu me dire qu'un des siens s'était endormi à jamais. Il vient de plus en plus souvent me dire ça. Et Docteur paraît toujours triste et pessimiste, mais mon quotidien se résume à ses mauvaises nouvelles.
Mon quotidien dépend de lui, parce que mon quotidien n'est que de l'écouter et de marcher, encore et encore. je pense que j'ai le quotidien normal de quelqu'un dans le coma, qui perd peu à peu tous ses proches.